Lors du Paris Air Forum, le président d'honneur d'Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta a tiré à boulets rouges sur les compagnies du Golfe. Il demande notamment à celles-ci de démontrer qu'elles ne sont pas subventionnées.
Pour Patrick Gandil, directeur de la DGAC, "ce que font les compagnies du Golfe n'est pas forcément critiquable".Lors du Paris Air Forum, organisé vendredi 11 juillet par La Tribune, Jean-Cyril Spinetta s'est lâché comme peut être il ne l'avait jamais fait en public. A l'occasion du débat sur "la libéralisation est-elle le remède du transport aérien ou le poison", dans lequel il débattait avec le directeur de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC), Patrick Gandil, l'ancien PDG d'Air France-KLM, aujourd'hui président d'honneur du groupe aérien français, a sorti l'artillerie lourde pour non seulement dénoncer les conséquences sur le transport aérien européen de la concurrence des compagnies du Golfe qu'il juge déloyale mais aussi pour proposer à Bruxelles une méthode visant à mettre en place des "règles de concurrence équitables".
"Les compagnies du Golfe ont déjà gagné la partie"
Entre l'Europe et les pays du Golfe, "les conditions de cette concurrence n'ont pas encore été définies (....). Il y a eu une véritable hémorragie au détriment des compagnies européennes dans des conditions d'opacité que je déplore"", a-t-il déclaré.
Pour lui, dans la mesure où la libéralisation des marchés devrait se développer à l'avenir et entrainer le déploiement des transporteurs sur tous les continents, la question fondamentale est de savoir si les compagnies européennes auront "la force financière pour devenir des acteurs économiques présents sur tous les marchés mondiaux".
"C'est un enjeu majeur et aujourd'hui je répondrai de manière dubitative à cette question (...). car les compagnies du Golfe ont déjà gagné la partie. 23 ou 24 des pays de l'Union européenne ont déjà signé des accords de ciel ouvert (permettant des services illimités entre ces pays et leur pays d'origine, ndlr) et un certain nombre d'entre eux ont concédé des droits de 5ème liberté (possibilité pour les compagnies non-européennes d'effectuer des vols entre l'Europe et des pays tiers autres que le pays d'origine de ces transporteurs, ndlr)". Aujourd'hui, seules la France et l'Allemagne continuent de résister.
Donner un mandat à Bruxelles pour négocier avec les pays du Golfe
Pour Jean-Cyril Spinetta, il existe encore un moyen de retourner la situation.
"En liaison avec leur gouvernement, les compagnies européennes doivent définir un mandat à la Commission européenne pour négocier au nom de l'ensemble des pays de l'Union un accord de ciel ouvert avec les Etats du Golfe".
Ce mandat doit, selon lui, porter sur trois points qui permettraient d'obtenir des conditions de concurrence équitables. : "la gouvernance, la réciprocité, et la transparence financière".
Concernant la gouvernance, Jean-Cyril Spinetta la qualifie d'"inacceptable dans ces pays où la même personne préside à la fois la compagnie, l'aéroport, le régulateur, le duty free, la banque et j'en passe et des meilleures".
A propos de la réciprocité, il demande que tout ce que peuvent faire ces compagnies en Europe puisse être autorisé aux compagnies européennes dans les pays du Golfe. "Si elles peuvent investir dans les compagnies européennes, ces dernières doivent pouvoir le faire dans les compagnies du Golfe".
Alexandre de Juniac demande à l'Europe de faire respecter les règles
Une attaque qui vise la compagnie d'Abu Dhabi Etihad Airways laquelle multiplie les prises de participation capitalistique minoritaires dans des compagnies aux quatre coins du globe, notamment en Europe (Air Berlin, Alitalia demain). Sur ce point, Alexandre de Juniac, le PDG d'Air France-KLM, qui intervenait également au Paris Air Forum sur le thème "les grandes compagnies européennes peuvent-elles rester des leaders mondiaux ?", a demandé à l'Europe de faire appliquer les règles d'investissement dans les compagnies européennes pour les opérateurs originaires de pays tiers. Autrement dit que ces derniers n'aient pas le contrôl effectif des compagnies européennes comme la réglementation européenne l'exige puisqu'ils ne peuvent disposer de plus de 49% du capital.
Transparence financière
Enfin sur la transparence financière, "le plus important" selon Jean-Cyril Spinetta, les "compagnies dont les dirigeants jurent la main sur le cœur qu'ils ne reçoivent pas de subventions doivent le démontrer. S'ils sont sérieux, ils peuvent le faire aisément".
En pratique, même s'il ne l'a pas dit en ces termes, Jean-Cyril Spinetta demande aux compagnies du Golfe d'ouvrir leurs comptes, comme il l'avait déjà dit il y a une dizaine d'années.
Au final, a continué le président d'honneur d'Air France-KLM, si la Commission obtient ce mandat et l'exerce, "les discussions entre chaque pays et ces compagnies doivent s'interrompre. Si la négociation réussit, un ciel ouvert doit être instauré. Si elle échoue, les accords bilatéraux doivent être dénoncés et les fréquences des compagnies du Golfe gelées".
"Ce que font les compagnies du Golfe n'est pas forcément critiquable"
Pour Patrick Gandil, "la question doit être vue de manière nuancée". « Il y a une vraie question sur l'univers des pays du Golfe, mais ils ne sont pas les seuls (...) Il y a une question d'ordre économique -de concurrence équitable- et une question d'ordre diplomatique (...). C'est selon ces questions qu'il faut regarder le sujet et non avec un esprit qui raisonne en termes de bien et de mal. Je ne suis pas sûr que ce que font les compagnies du Golfe soit forcément critiquable. Il y a un choix de leur pays pour un certain développement. La question est : que faisons-nous par rapport à cela", a-t-il déclaré.
La dimension diplomatique est très importante à ses yeux.
"Si on laisse le système évoluer comme il évolue, la connectivité directe n'existera plus entre les villes européennes et le monde asiatique. Elle se fera par le Golfe". Pour lui, une absence de vols directs entre les villes européennes et asiatiques aura « des conséquences non seulement économiques mais aussi diplomatiques.
Il a cité l'exemple de l'Inde où les vols directs entre la France se limitent à seulement deux lignes.
Dubai plus connecté au monde que Paris, Londres et Francfort réunies
Intervenant également au Paris Air Forum sur le thème "la sous-capacité aéroportuaire est-elle un mal européen ?", Olivier Jankovec, secrétaire général de l'ACI Europe, (l'association des aéroports européens) a fait part de son inquiétude à l'égard du manque d'investissement pour augmenter la capacité en Europe en rappelant qu'"en 2004, le niveau de connectivité intercontinentale des trois premiers hubs européens (Londres, Paris, Francfort) était trois fois supérieur à celui des trois plus gros hubs du Golfe (Dubai, Abu Dhabi, Doha) mais que dix ans plus tard, le niveau de connectivité intercontinentale de ces derniers était le double de celui des aéroports européens". "Le niveau de connectivité de Dubai est même équivalent à celui de Paris, Londres, Francfort réunies", a-t-il précisé.
L'arme des droits de trafic
Face à cela, Patrick Gandil a rappelé que la France disposait d'un outil : les droits de trafic, "qui ont été créés pour respecter des équilibres de marché sur certaines liaisons directes, non pas pour fermer ce marché mais pour l'ouvrir de manière équilibrée afin de ne pas laisser notre marché disparaître en supprimant la connectivité directe au profit des marchés tiers".
"Nous avons la possibilité de dire non, de réguler le marché, d'accepter la relation de point-à -point qui correspond à la relation entre pays, et être plus malthusien sur les droits de 5ème liberté", a-t-il dit.
Intervenant également au Paris Air Forum, l'ancien directeur de la DGAC, Claude Abraham, qui s'était distingué l'an dernier en dirigeant l'équipe qui avait rendu au premier ministre un rapport intitulé "Les compagnies européennes sont-elles mortelles?" a appelé les autorités françaises à être "vigilantes dans l'attribution des droits de trafic".
Concernant les propositions de Jean-Cyril Spinetta de donner mandat à la Commission, Patrick Gandil s'est déclaré favorable sur le principe mais a rappelé les difficultés de l'exécution d'une telle démarche. "Il faut à la fois être certain que les négociateurs sont convaincus et vont le faire, sinon c'est extrêmement dangereux et il faut être capable de fixer en commun au niveau européen un mandat impératif à Bruxelles. Ce ne sont pas des petits codicilles", a-t-il dit.
"Les compagnies françaises nous font un mauvais procès" dit Emirates
Ce débat n'a pas laissé indifférent Thierry de Bailleul, le directeur général France d'Emirates. Ce dernier a déploré une "diabolisation qui ne sert à rien car elle renvoie à certaines faiblesses de notre pays (...), à une certaine faiblesse des compagnies françaises qui nous font un mauvais procès". Il a pris l'exemple de l'ouverture de la ligne Dubai-Lyon pour justifier l'apport économique d'Emirates pour Lyon et sa région. Il a également mis en avant le poids des Emirats arabes unis dans la balance commerciale française. Concernant les accusations de subventions, il a rappelé qu' Emirates publiait des comptes certifiés par un organisme international, "qui démontrent que nous ne recevons pas de subventions. Au contraire nous payons des impôts sur nos bénéfices".
Spinetta agacé
L'intervention de Thierry de Bailleul a visiblement agacé Jean-Cyril Spinetta. Ce dernier l'a sommé de dire sur le champ s'il était "pour une concurrence équitable ou pas et que si ce que disent les dirigeants des compagnies du Golfe est vrai (qu'elles ne reçoivent pas d'aides d'état, ndlr), il était de leur intérêt de retenir sa proposition et d'ouvrir immédiatement des négociations".
Comme il l'a répondu, Thierry de Bailleul ne pouvait évidemment prendre un tel engagement qui n'est pas de son ressort.